Callejon |
L'après-midi laisse filer les heures aves paresse. |
Les chiens dorment. Le chant d'un coq
résonne de derrière les murs peints aux couleurs du Parti
Révolutionnaire Institutionnel. Luis, une coronaà la main s'exclame : “¡Pinche perro! ¡Que bella vida tiene!”.
Il fait chaud, le vent sèche la transpiration dans mon dos, entre
mes seins. Mes mains restent moites. Le rose fushia des
bougainvillers se superpose au rose pale d'un mur à la peinture
délavée.
Nous
sommes à un croisement entre deux callejones,
sur un banc en béton au milieu du bitume. L'après-midi laisse filer
les heures aves paresse. Nathalie lit un texte féministe, Luis
parle, mais aucune de nous ne l'écoute vraiment. Parfois il
chantonne “Sobredosis de amor...Sobredosis de pasión...”
Juchitán est une
petite ville au sud du Mexique, dans l'istme de Tehuantepec, là oú
la terre se rétrécit, où les montagnes de Oaxaca s'estompent
jusqu'à une étendue plane, aujourd'hui souillée par des centaines
d'éoliennes érigées sur des terres appartenant autrefois aux
paysans du coins. Et puis le Pacifique.
Douze
heures de car depuis la ville du DF. Le samedi, nous arrivons tôt le
matin. Sans avoir vraiment dormi, mais sans se sentir épuisés pour
autant. A 8h, l'air est déja chaud, presque moite. Les taxis nous
alpaguent. En quelques minutes nous sommes au centre ville. Dans les
rues, on entend parler zapotèque. Les puestos
du marché sont ouverts, mais il manque la vieille qui prépare le
pozol de cacao. Ils
disent qu'elle n'est là que l'après midi. Mais des trois jours à
Juchitán, jamais nous ne la trouverons.
Por la mañana |
Trois jours de vie,
de jour comme de nuit. Un voyage improvisé. Un coup de tête comme
je les aime. Un douce folie. De ces échapatoires qui me font sentir
vivante. J'aime débarquer dans un lieu sans rien en connaître.
Juchitán est un
lieu retiré, à part. Il me semble loin de tout. Les femmes sont
grandes et fortes, elles portent le vêtement traditionnel : une jupe
longue et un teeshirt en velour brodé de fleurs colorées. On dit
qu'autrefois à Juchitán, les communautés zapotèques
fonctionnaient sous un un système matriarcal, où les femmes
disposaient du pouvoir économique et institutionnel.
Je ne pourrais pas
confirmer la véracité de ces propos. Mais ce que j'ai vu à
Juchitán s'affranchissait des normes religieuses et sociales, tout
en s'y incorporant. Une tradition et une culture qui paraissent
ancestrales, mais sur lesquelles la société contemporaine et
occidentale influe sans aucun doute. Tout cela baigné dans les
prières et croyances religieuses dérivées du christiannisme.
Propagande officielle... De ce qui ne sera jamais expliqué par "a+b" |
A
Juchitán, ce weekend, se fêtait la vela muxe
(muxe se prononce
“muché”). La vela
est une festivité de trois jours, de plats locaux, de bière,
beaucoup de bière, de salsas et de cumbias. Mais c'est bien plus que
ca.
Les
muxes sont des femmes
nées hommes. Ce sont des hommes travestis en femmes. Certains
transsexuels, la plupart homosexuels. Dans les années 70, 6% de la
population de Juchitán était muxe.
Aujourd'hui, certains sont nés à Juchitán, d'autres sont des
“réfugiés de la diversité sexuelle”. Des travestis non
acceptés en tant que tels dans leur localité natale, qui viennent
s'installer à Juchitán. On dit qu'autrefois, la muxe
était le dernier fils de la
fratrie. Qu'on le désignait à sa naissance, et qu'il était ensuite
éduqué comme tel. Aujourd'hui, je ne sais pas. Etre muxe,
ce n'est pas être femme, ni être homme. A Juchitán, ils disent :
“el terecero sexo”.
Chaque
année donc, on célèbre les muxes
et on couronne la reine muxe.
Tout Juchitán est au courant, cela va de soi.
Le
samedi matin, la messe. Un prêtre dit le sermon, célèbre la
diversité sexuelle et en appelle au respect. Les muxes
défilent pour manger le corps du Christ et boire son sang. Bien
apprêtées, elles paradent dans leurs habits traditionnels,
maquillage à outrance, et manières féminines. A la sortie de
l'église, un orchestre nous attend et on marche pendant une bonne
demi heure à travers les rues. En amont du cortège, deux hommes
portent un Christ sur sa croix. Les habitants regardent le défilé,
avec sympathie plus qu'avec amusement.
Les muxes au sortir de la messe. |
Sourires et indifférence. |
Là oú les mondes se mélangent. |
Premières danses. |
On
arrive devant la maison du mayordomo,
celui oui celle qui organise les festivités. Les femmes sont
appelées à participer financièrement. Le repas et la bière sont
servis pour tous à volonté. On nous dit qu'il est impossible qu'on
se rende ainsi vêtus à la vela qui
commencer dans quelques heures. On se laisse transporter entre les
étals serrés du marchés, il faut se procurer rubans, jupons,
dentelles et fleurs colorées. Nous arrivons à la maison d'Amaranta.
Femme, travesti, indigène, handicapée, elle fût députée fédérale
et continue à lutter pour les droits de la communauté de la
diversité sexuelle.
Des
couples paressent dans des hamacs, ils roupillent, s'embrassent et se
font les yeux doux. Les femmes attendent pour être coifées, les
hommes attendent que les femmes soient coifées. On attend, donc.
Chacune aura droit à ses cheveux tirés, à sa tresse, au ruban et
aux fleurs pour couronner le tout. Je me sens illégitime à être
vêtue du huipil
traditionnel, de cette jupe longue et de ces dentelles. J'aurais
préféré m'apprêter à ma facon, mais je sens qu'il en est hors de
question.
Avant
de pouvoir entrer à la vela,
chaque homme doit acheter un carton d'une trentaine de bières. De
ces petites, qui restent fraiches le temps d'être bues. C'est donc
un carton corona sur
l'épaule, tenu d'une main, que les hommes devancent les femmes et
passent le portail.
Des
milliers de personnes sont assises. Un grand espace est laissé vide
au milieu de tous. De chaque côté, les familles attendent sur des
rangées de chaises qu'on leur apporte la comida.
La nuit est tombée mais les fleurs n'en sont que plus belles et
vivaces. Harmonie de couleurs et de mouvements. On s'assoit donc, et
je me sens blonde et francaise plus que jamais.
Même
si certains vont et viennent entre les rangées de chaises pliantes,
la plupart sont assis, se donnent en spectacle ou observent le
spectacle. Personne ne semble attendre quoique ce soit. Et pourtant.
(La
suite pour dans quelques jours...)
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